La sexualité est un sujet tabou : plein d’interdits, à la fois sacré et impur. Un sujet sur lequel on fait silence donc, le plus souvent, par crainte ou par pudeur. Pas si facile de l’aborder en mots entre adultes et encore moins avec nos enfants, même si la famille est le lieu de l’éducation et de la transmission. L’école peut-elle être un relais ?
La sexualité se construit tout au long de notre vie. De l’enfant à l’adolescent, de l’adulte au senior, elle est omniprésente, même si sa place change sans cesse. Sa découverte et son exploration à l’orée de l’âge adulte se font sous l’influence de l’environnement culturel et familial mais aussi celle des médias, d’Internet ou des réseaux sociaux ; les uns et les autres adressent des messages divergents et imposent des représentations. Les valeurs, croyances et idéaux familiaux ne sont pas toujours en accord avec les recommandations de la société dont la norme est une sexualité « libérée » et l’enjeu, la santé publique. Les images qui circulent en libre accès (de la publicité à la pornographie) véhiculent quant à elles une vision morcelée et réduite de la sexualité ainsi que des modèles que les jeunes peuvent absorber sans recul. Enfin, les adolescents peuvent être déchirés entre les injonctions de leurs parents et les appels de leur génération. Autant de bonnes raisons de s’adresser à eux, au contraire de les laisser, seuls, construire leur vie affective et sexuelle, en dehors de tout repère.
Si la famille a du mal à mettre des mots sur ce qui touche la sexualité, si les conflits ou la pudeur entravent le dialogue enfants-parents, il reste à organiser, dans le temps scolaire, des rencontres sur ces sujets.
Comment ou pourquoi ?
L’Education à la sexualité dans les établissements scolaires est encadrée par la loi (circulaire N°2003-027 du 17-2-2003) qui prône « trois séances d’information et d’éducation à la sexualité, au minimum, dans le courant de chaque année scolaire ». Ce n’est pas le cas, hélas, mais les élèves ont au moins une fois dans leur scolarité accès à une séance. L’éducation sexuelle à l’école a longtemps été cantonnée à des cours de Sciences naturelles sur la reproduction – où il était savamment évité de se confronter à l’intimité du sujet ou à tout versant affectif. Puis elle a pris, dans les années 1970, en parallèle des lois sur la contraception ou la prévention des grossesses non désirées et des mouvements de libération sexuelle, un aspect de campagne de prévention et d’information sur la pilule. La peur engendrée par l’épidémie du SIDA, dans les décennies suivantes, a modifié le discours proféré aux élèves, de plus en plus préventif et hygiéniste, le centrant sur l’usage du préservatif (comme barrière absolue contre les IST [1] et les grossesses non voulues, à la fois) et les risques de transmission liés aux pratiques sexuelles (éducation à la santé sexuelle). Plus près de nous, l’accès banalisé aux images pornographiques, la circulation des « nudes » et vidéos intimes, les connotations sexuelles répandues à profusion dans notre quotidien audiovisuel, se sont mis à véhiculer de nouvelles représentations et normes sociales implicites : le sexe, comme un ensemble de techniques et de performances ou comme un bien consommable, non impliquant, coupé de tout enjeu relationnel et affectif. Or, les demandes des établissements pour des interventions dans leurs classes, toujours sous-tendues par l’idée d’une sexualité-danger et ses aspects préventifs, ne rencontrent pas toujours les préoccupations des jeunes, ni la réalité dans laquelle ils trempent, et peuvent manquer l’opportunité d’apprendre à « penser » la vie sexuelle, de chercher du sens (pourquoi) plutôt que des consignes (comment).
C’est pourquoi les intervenants extérieurs sur le thème de la « Vie affective et sexuelle », médecins, sages-femmes, infirmières, conseillers conjugaux et familiaux –dont c’est une mission essentielle -, ont inscrit leurs animations scolaires dans la recherche d’échanges avec les adolescents, d’une mise en mots et d’une réflexion avec eux sur leur vie d’adulte. En n’omettant pas que dans « relation sexuelle », il y a « relation » et que celle-ci implique des personnes tout entières. Assorties des messages préventifs et informatifs essentiels à la prise de décision responsable et autonome, ces animations s’attachent à créer du lien entre sexe et investissement affectif, entre corps, cœur et cerveau. La sexualité pensée comme un objet de consommation convoitant le plaisir et assouvissant les pulsions, éloigne l’être de sa recherche absolue de tendresse et de relation. Le discours de prévention se situe aujourd’hui dans la démarche de « rétablir le lien entre le sexe et la personne et d’aider les adolescents à sortir de cette image d’une sexualité morcelée, réduite à un phallus en érection qui éjacule » explique le Dr Nicole Athéa dans son livre, « Parler de sexualité aux ados » (voir encadré).
Respect, consentement et estime de soi
Faire contrepoids aux messages implicites des médias concernant une sexualité performante, détachée des émotions, du psychisme ou de la pensée humaine, ne signifie pas plaquer nos représentations d’adultes sur les adolescents rencontrés. Lier le sexe et la personne est différent par exemple de : lier le sexe et l’amour ou l’engagement (idéalisé par nous). L’objectif est de les accompagner dans leur quête de découvrir et d’expérimenter (la sexualité n’est pas une connaissance mais une expérience), qui est aussi une quête de soi et qui passe nécessairement par le « papillonnage ». La notion de relation, plus ou moins amoureuse ou passagère, est alors à replacer dans le respect, la confiance, le consentement et l’estime de soi : suis-je aimable ? capable ? ai-je de la valeur ? Etre libre n’est pas faire ce qui nous plait sans tenir compte de soi ni de l’autre. Les expériences sexuelles, envisagées ou réalisées, peuvent aussi bien participer à la construction de l’estime de soi qu’à sa dégradation et être source d’anxiété. Ce sont bien des questions que les jeunes se posent ; un élève avait inscrit dernièrement sur un petit papier : « si on n’a pas confiance en soi, comment pouvons-nous faire confiance à celui qu’on aime ? ».
Nicole Athéa le résume ainsi : « Une bonne estime de soi est une condition indispensable à tout comportement de prévention. Pour nouer une relation affectivement et positivement investie, il faut avoir une image de soi suffisamment bonne ». Notre travail auprès des adolescents tend vers la construction d’une image d’eux-mêmes responsable, respectueuse et positive : qu’ils se sentent dignes d’être aimés, assez affirmés et éclairés pour pouvoir dire oui ou non, qu’ils soient acteurs et prennent des décisions, qu’ils sachent s’ils sont prêts : à quoi et pourquoi, qu’ils entrent en relation…
Certains parents craignent que nous parlions crûment de sexualité à leurs enfants. Nous répondons avec des mots choisis aux besoins d’information qu’ils expriment et nous débattons avec eux de ce qui les intéresse. Entre tabous familiaux et images faussées de la réalité, nous les aidons à construire des points de repère, des appuis et des pistes de réflexion. En créant une confiance et un lien, le temps de nos interventions, la parole devient possible, se libère, les ouvre à la connaissance d’eux-mêmes et des enjeux d’une sexualité qu’on leur souhaite épanouissante plutôt que blessante.
Anne de la Brunière – article publié dans le magazine Com’ sur un plateau n°11 – Mars 2019
[1] IST : infections sexuellement transmissibles
Pour aller plus loin : ce livre du Dr Nicole Athéa propose un ensemble de réflexions sur la sexualité des adolescents, s’adressant aux intervenants scolaires aussi bien qu’aux parents. Une aide pour aborder avec eux les questions qui les préoccupent et les accompagner, à travers les messages divergents de leur environnement, vers une sexualité choisie, libre et responsable.
Parler de sexualité aux ados – Une éducation à la vie affective et sexuelle, Dr Nicole Athéa, Eyrolles, 2006
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