Certains d’entre nous avons grandi avec des frères et sœurs. Dans le meilleur des cas, nous nous sommes serrés les uns contre les autres pour nous tenir bien chaud. Comme des chatons de la même portée, nous avons appris à nous affirmer, à travers des jeux complices et quelques échanges de coups de griffe. Adultes, nous restons fortement imprégnés de ces liens.
Notre histoire ne se définit pas seulement par ce que nous avons reçu de nos père et mère ou ce dont nous avons manqué. Nos liens entre frères et sœurs, construits dans l’enfance, influencent nos vies d’homme et de femme et participent à notre identité. Nul besoin d’être jumeaux pour partager des ressemblances et se sentir intimement reliés, voire indissociables, comme des pièces participant au même puzzle. Qu’on ait un ou deux parents en commun, il y a ce qui nous rassemble et ce qui nous différencie, mais nous sommes modelés de la même glaise. Depuis toujours, nous nous sommes affrontés aussi bien que soutenus, nous nous sommes influencés, et nous portons en nous, pour la vie entière, l’empreinte de ces liens primordiaux.
« On ne s’entend pas parfaitement, on ne se voit pas si souvent que ça, raconte Céline, jeune mère de famille, au sujet de ses deux demi-frères qui vivent loin, dans le Sud de la France. Mais ils sont là et font partie de moi ; c’est dur d’imaginer la vie sans eux ; oui, c’est comme une partie de moi… et c’est mon clan ! ». A l’approche des fêtes de fin d’année, certains appréhendent les retrouvailles familiales car, outre la confrontation avec les parents qui ne peuvent parfois s’empêcher de nous remettre dans une position d’enfant et de nous faire des « réflexions à la noix », le rassemblement de la fratrie adulte peut réveiller des jalousies enfantines, des désaccords du passé et nous faire vivre nos divergences comme des trahisons. « Malgré tout, quelque chose se reforme quand nous nous retrouvons réunis comme autrefois, explique Olivier, aîné d’une fratrie de 4 garçons. Au milieu de mes frères, je me sens à l’abri et plus du tout seul ; je peux lâcher des barrières ; on se comprend même sans se parler ; on appartient à un tout »…
Un ami donné par la nature
Un « clan », un « nous » un « tout »… Un groupe en somme, qui partage une identité, une appartenance, une histoire, des valeurs et une unité. Les enfants d’un même couple, d’un même père ou d’une même mère ne sont pas que des rivaux devant leurs parents, se chamaillant pour avoir la meilleure place ou s’attirer leurs grâces. Ils sont aussi unis par un même pacte et, quoiqu’étant distincts, ils ont du mal à se différencier. Le « nous » précède le « je ». La loyauté des liens fraternels restera inscrite dans leur existence, malgré les éloignements et les écarts de trajectoire.
Frères et sœurs biologiques partagent l’expérience inouïe d’être issus d’une même matrice. Qu’ils aient le même nez, les mêmes reflets dans les cheveux, le même talent pour le dessin ou la même répartie insolente, c’est pour eux comme une « marque de fabrique » : ils se reconnaissent et en sont fiers. Une façon d’apprivoiser en sécurité le fait d’être soi, d’être unique, en n’étant pas tout à fait seul, et d’admirer à loisir son reflet dans le miroir de l’autre. Guillemette, cadette d’une fratrie nombreuse, se souvient : « Tous blondinets avec des taches de rousseur, nous avions seulement quelques centimètres de différence et quand nous nous présentions les uns après les autres, nous étions bien conscients de la surprise amusée des adultes et aussi de la fierté de nos parents… Nous étions du même moule ! ». Par nature différents mais indissociables dans l’imaginaire, les frères et sœurs forgent des liens d’une force unique, faits d’amitié, de complicité et de loyauté, si tout se passe bien : des liens qui sécurisent, qui renforcent, qui soutiennent. « Un frère est un ami donné par la nature »[1]. Amis d’enfance, les frères ou les sœurs sont aussi les gardiens et les témoins d’un passé commun, auquel ils aiment se ressourcer ensemble, une fois de temps en temps, devenus grands.
Frères ennemis
Cependant, la fraternité peut être mise à mal. L’harmonie, la complicité, l’affection ou l’amitié ne sont pas toujours au rendez-vous des grands rassemblements des familles. Les failles dans la fratrie ont pu se créer dans le jeune âge ou un peu plus tard, être apaisées ou réparées ou ne l’être pas. Question d’ordre d’arrivée ou de place dans la fratrie, question d’appréciation de l’affection ou de l’attention des parents vis-à-vis de soi ou des autres, question de séparation (des parents et parfois de la fratrie)… ? Des sentiments de jalousie, de colère, de rancœur, d’injustice ou d’abandon naissent parfois, dans le contexte de concurrence qui s’organise naturellement autour de l’enjeu d’être aimé de ses parents – sans que les parents ne l’attisent forcément. En se comparant, les enfants apprennent à se différencier mais ce n’est pas toujours sans blessure ni rancune qu’ils intègrent cette séparation. La dissociation, l’éclatement du « tout », peuvent être vécus dans la douleur et l’hostilité. La haine n’est pas si éloignée de l’amour… De deux choses, l’une : les frères et sœurs, en grandissant, continuent, à sortir les griffes les uns envers les autres tout en reconnaissant qu’ils s’aiment profondément ; ils font la part des choses et restent unis. Ou alors, la hargne n’est pas dépassée, résolue, parlée, et demeure un empêchement à vivre et il arrive que des fratries se déchirent avec violence. Le meurtre du frère ennemi, puisqu’il est interdit, s’exprimera symboliquement par le silence, la négation de l’existence de l’autre, ou par une rupture fracassante sous un prétexte ou un autre, assortie de reproches … assassins.
« L’on hait avec excès lorsque l’on hait un frère », écrit Jean Racine dans La Thébaïde (ou Les Frères Ennemis). Les liens inscrits dans le sang ont ceci de particulier qu’ils sont indéfectibles. Pour peu qu’ils nous mettent en danger, nous emprisonnent ou nous empoisonnent, ils prennent un tour dramatique. L’amour fraternel devient haine et souffrance quand il est blessé car la trahison est intime, l’opposition inacceptable, la scission insupportable, la division impossible… Celles-ci se feront donc dans la douleur et dans le bruit. Même si, à l’image de la tragédie de Racine, c’est sans issue… puisque si les uns sont tués, les autres meurent de chagrin.
A moins qu’on réussisse à en parler.
Anne de la Brunière – article publié dans le magazine Com’ sur un plateau n°10 – Décembre 2018
[1]Dans La Mort d’Abel, III, 3, Caïn de Gabriel Marie Legouvé, poète français (1764-1812).
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